Le : 10/11/2025
Nos synthèses de conférences
Le futur existe-t-il dans l’avenir ?
Intervenant : Etienne Klein, physicien et philosophe des sciences.
Année : 10 novembre 2025
Où : Festival Michel Serres, théâtre Ducourneau à Agen
Résumé de la conférence :
Etienne Klein commence – et cela fait plaisir – par revenir sur la question posée par cette conférence : le futur existe-t-il dans l’avenir ? Une question assez stupide en fait (dixit Etienne Klein !). Elle a néanmoins le mérite d’ouvrir des portes et de nous poser d’autres questions et notamment celle de notre rapport à la confiance. Avons-nous confiance en la science pour nous aider à relever les défis qui se posent à nous-mêmes ? En France, le taux de confiance en la science est assez élevé. Cependant, cela fluctue.
La science est malmenée, contredite sans preuve, niée. De nos jours, il y a une confrontation entre liberté et vérité. Plus nous aspirons à la liberté, plus nous pouvons dire des contrevérités. Le physicien nous emmène directement face l’état du monde peu réjouissant et pourtant réel aidé d’un diction ouzbèke ou tchétchène « notre passé fut misérable, notre présent est catastrophique mais heureusement nous n’avons pas d’avenir ! »
Quant à la question du temps, se la poser c’est souvent tracer un axe sur un papier, une ligne. On fait alors exister en même temps des instants qui en réalité n’existent pas ensemble. Du coup, quand nous pensons à un instant présent, est-il cintré par le néant ? C’est-à-dire du passé qui n’existe plus et du futur qui n’existe pas encore ?
Lorsqu’Einstein développe la théorie de la relativité et la notion « d’espace-temps » en 1905, c’est la révolution ! La frontière entre l’espace et le temps se révèle alors poreuse en fonction de l’observateur (petite explication ici : un même événement pouvant être dans le passé d'un observateur et le futur d'un autre se croisant au même endroit au même moment). C’est la théorie de l’Univers-bloc. L’Univers tout entier se déploie dans un continuum d'espace-temps où tous les événements présents, passés et futurs existent de la même façon. Tout est déjà là : le futur, et tout est encore là : le passé ! Et ce qu’on appelle le présent est l’endroit où se trouve notre présence.
Selon Etienne Klein, nous devons faire une synthèse entre l’Univers-bloc et sa vision éternaliste et le présentéisme.
Nous sommes en effet toujours devant des incertitudes. La science ne nous dit pas ce que nous devons faire des possibilités qu’elle nous donne. D'ailleurs, quand il s’agit de décider, nous avons souvent des valeurs qui s’entrechoquent. D’où les potentiels désaccords et l'absence de décisions.
Le philosophe prend ensuite le temps de faire de l’étymologie pour mettre en exergue les changements dans nos sociétés. Le mot « progrès » s’est écrit pendant des décennies avec une majuscule, il l’a perdue après la seconde guerre mondiale. On constate aussi que le mot perd en occurrence, on ne l’utilise plus. Voilà que c’est le mot « innovation » qui le remplace et ce depuis le début des années 2000.
Le progrès c’est penser un monde futur qu’on pense pouvoir atteindre grâce à la science. Le progrès n’est pas automatique, il faut travailler pour pouvoir le réaliser. Croire au progrès, c’est sacrifier du présent personnel au nom du futur collectif.
« Innovation » vient d’innovatio en latin. Au 14ème siècle, on l’employait dans le domaine juridique. Une innovatio était en fait un avenant à un contrat. Le terme innovation est donc associé à un principe de conservation, on introduit une chose nouvelle mais on ne veut pas que ça change. L’innovation c’est ce qu’il faut faire pour que ça ne change pas.
Ne pas vouloir sacrifier du présent personnel, c’est ne pas servir le futur collectif. Or, le temps qui passe aggrave les défis et augmente les difficultés qui se présentent à nous. L’innovation technologique nous plaît, elle nous semble nous permettre de palier les dégâts du temps qui passe.
Aujourd’hui, force est de constater qu’on n’arrive pas à fabriquer un présent projectif dans le futur. Il n’y a aucune impatience à être en 2050. Dans les décennies précédentes, il y avait tout un imaginaire, un récit autour de l’an 2000. On avait hâte. Mais voilà qu’on a passé l’objectif de l’an 2000 et – tel un alpiniste qui a atteint le sommet – nous voilà dans la phase de descente.
Comment pouvons-nous tracer un axe du temps qui donne un sens au futur ?
Le futur présente en effet des risques. D’ailleurs, Etienne Klein souligne que notre rapport au risque a évolué en quelques décennies. Pendant longtemps, le risque était le prix à payer pour atteindre le meilleur. Y compris au prix de perte humaines dans des événements graves. Aujourd’hui, le risque est plutôt l’annonce d’apocalypses futures.
Le monde nous alerte sur toutes sortes d’urgences. Nous ne sommes que dans le présent, tout le temps, constamment sous un trop plein d’informations. Comment alors réinstaller un désir de futur ?
C’est tout le défi du politique ! Donner la force de demander des efforts dont nous ne serons pas immédiatement récompensés.
Plus on s’interdira de se projeter dans le futur car nous savons qu’il y aura des changements importants, climatiques notamment, plus notre angoisse sera forte et plus le futur sera fictif. Nous avons besoin de nous projeter et de nous objectiver nous-mêmes dans le futur pour pouvoir avancer dans le temps et répondre à cette question : que voulons-nous pour le futur en tenant compte de ce que nous savons ?
(crédit image : Festival de Philosophie Michel Serres)
